Cela fait presque 10 ans que la Loi n°2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, dite loi Novelli a modifié en profondeur les rapports entre les gestionnaires de résidence de tourisme classée et les investisseurs qui ont investi en LMNP ( art L. 321-1 du Code du tourisme et dispositif des baux commerciaux)
Nous vous proposons de faire un point d’actualité sur cette réforme à la lumière de la dernière jurisprudence de la Cour de Cassation.
1/ La durée minimum et impérative des baux commerciaux
Cette loi de 2009 met fin aux pratiques de certains gestionnaires des résidences de tourisme qui résiliaient le bail au bout de 3 ans, exerçant une certaine pression sur les propriétaires afin de les contraindre à baisser leur loyer.
En 2009, la loi fixe, à l’article 16, la durée minimum impérative du bail commercial entre l’investisseur et l’exploitant d’une résidence de tourisme. En effet, aujourd’hui, la durée des baux signés doit être de 9 ans fermes.
Ces dispositions ont été retranscrites à l’article L.147-12 du code du commerce.
2/ le régime des indemnités d’éviction reprécisé
Dans un bail commercial, le locataire a la possibilité de réclamer des indemnités d’éviction lorsque le propriétaire ne souhaite pas renouveler le bail arrivé à échéance.
La loi Novelli impose que l’existence de ce droit (prévu à l’article L.145-14 du Code de commerce ) ainsi que ses modalités de calcul , figurent dans les documents commerciaux remis aux investisseurs, de même que le nom du gestionnaire sélectionné pour exploiter la résidence.
Ces dispositions ont été retranscrites aux articles L.321–3 et L.321-4 du Code du tourisme.
3/ la tenue obligatoire d’un compte d’exploitation distinct
La loi impose au gestionnaire de disposer d’un compte d’exploitation distinct pour chaque résidence.
La loi impose également au gestionnaire d’être en mesure de transmettre annuellement aux investisseurs-bailleurs un bilan de l’année écoulée. Celui-ci doit préciser :
- les taux de remplissage de la résidence;
- les événements significatifs de l’année ;
- le montant et l’évolution des principaux postes de recettes et de dépenses de la résidence.
Le gestionnaire doit les communiquer aux propriétaires qui en font la demande.
Ces dispositions ont été retranscrites à l’article L.321–2 du Code du tourisme.
En résumé, les dispositions sur la modification de la durée des baux commerciaux ainsi que sur l’information sur les indemnités d’éviction ont été plutôt bien respectées dans l’ensemble.
Il en est allé autrement s’agissant du compte d’exploitation distinct et de sa communication aux investisseurs bailleurs, ce qui a nécessité la prise de position toute récente de la Cour de Cassation saisie à cet égard, fin 2017.
Sur ce sujet en effet, la pratique depuis 20009 a démontré le comportement discrétionnaire des gestionnaires, l’obligation de communication du compte d’exploitation n’étant pas sanctionnée par le législateur. Â
Si certains gestionnaires ont largement joué le jeu en diffusant les comptes de la résidence comme un véritable outil de communication avec leurs investisseurs, en leur fournissant beaucoup de chiffres et de statistiques, d’autres ont limité à la plus simple expression l’information et les chiffres communiqués à leurs investisseurs-bailleurs.
En effet, les gestionnaires ne souhaitaient pas engager des frais inutiles et ne voulaient pas être contrôlés par leurs bailleurs, qui sont certes des investisseurs mais pas leurs actionnaires.
En droit, si l´exploitant ne communiquait pas les comptes en réponse à une demande amiable d´un propriétaire, puis à une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, il pouvait en principe y être contraint par une ordonnance d´injonction de faire sous astreinte financière, demandée auprès du Tribunal d´Instance.
Il s´agissait d´une procédure simple et peu onéreuse pour les propriétaires, qui permettait d´obliger l´exploitant réticent à respecter ses obligations.
Il s’agissait cependant d’un pis-aller pour chaque propriétaire pour contraindre le gestionnaire à lui remettre l’information pourtant prévue par la loi.
4/ En quoi les récents arrêts de la Cour de Cassation fin 2017 sur les obligations du gestionnaire sont-ils déterminants ?Â
La Cour de Cassation vient de se prononcer tout récemment à deux reprises sur l’étendue de l’obligation d’information posée par l’article L.321-2 du code du tourisme (Civ ; 3ème 19.10.2017 pourvoi n° 16-21458 sur appel d’un arrêt du 27.04.16 de la CA Poitiers – Civ. 3ème 19.10.2017 pourvoi n° 16-21460 sur appel d’un arrêt du 27.04.16 de la CA Rennes)
Il est peut être fini le moment crucial en fin de bail et lors du renouvellement des baux où le gestionnaire se résolvait enfin et seulement à cette occasion à communiquer sur les chiffres clés de son exploitation et de son bilan et notamment son taux d’effort et d’autres chiffres d’exploitation clés pour justifier la baisse des loyers lors de négociations âpres de fin de bail entre gestionnaire et bailleurs.
En effet, la Cour de Cassation dans ses récents arrêts apprécie de façon générale en cours de bail, l’exécution (ou plutôt) l’inexécution du gestionnaire dans la communication des informations comptables au profit de ses bailleurs.
Dans les deux cas d’espèce, le gestionnaire de la résidence se bornait à communiquer aux seuls copropriétaires qui en faisaient la demande un simple extrait de son bilan annuel.
A l’occasion de la procédure de pourvoi sur l’arrêt de la CA Poitiers, le gestionnaire de la résidence avait bien essayé de contester la condamnation de la Cour d’Appel en plaidant que la communication de ses comptes d’exploitation pouvait aboutir à une déconfidentialisation de ses méthodes de gestion protégées par le secret des affaires.
Le gestionnaire de la résidence soutenait également que l’obligation de communication de ses comptes d’exploitation et bilans aux copropriétaires, portait atteinte à la liberté d’entreprendre et au principe d’égalité devant la loi.
La Cour de Cassation a rejeté cette analyse. Elle considère que la loi Novelli a souhaité que les propriétaires bénéficient d’un traitement particulier leur permettant d’avoir accès aux indicateurs relatifs à la performance de leur investissement (Civ. 3ème 28.02.2017 pourvoi n° 16-21.458, AJDI 2017. 522, obs. N. Le Rudulier ; RTD com. 2017. 582, obs. J. Monéger).
La Cour de Cassation met ainsi en avant la qualité particulière des propriétaires au sein de la résidence de tourisme : ce sont avant tout des investisseurs qui ont réalisé un placement financier sur la rentabilité et l’évolution duquel ils doivent recevoir des informations.
L’information délivrée par le gestionnaire aux propriétaires-investisseurs doit donc être complète et leur donner accès « aux indicateurs relatifs à la performance de leur investissement. »
L’analyse de l’obligation d’information comptable à la charge du gestionnaire par la Cour de cassation
A l’occasion du pourvoi engagé contre l’arrêt de la Cour d’Appel de Rennes, la Cour de Cassation a complété son analyse de l’obligation d’information comptable à la charge du gestionnaire. Elle a considéré qu’en vertu de l’article L. 321-2 du code du  tourisme, le compte d’exploitation, communiqué aux propriétaires d’une résidence de tourisme en faisant la demande :
- ne peut être constitué d’un simple extrait du bilan, qui leur est obligatoirement adressé chaque année, et
- doit comporter un détail des charges variables (ex : les commissions, le linge, les ménages et l’énergie) et des charges fixes (ex : les frais de personnel, la maintenance, la location et les taxes).
La Cour de cassation organise ainsi désormais la communication des fameux comptes d’exploitation qui ne peuvent pas être limités à quelques éléments comptables du bilan annuel au gré du gestionnaire.Â
En résumé avec ces deux jurisprudences, le gestionnaire d’une résidence de tourisme classée doit désormais respecter deux types de contraintes en la matière :
1/ il doit spontanément adresser à tous les copropriétaires un extrait du bilan de l’année écoulée ;
2/ à la demande spécifique des copropriétaires qui le souhaitent, il doit leur transmettre le compte d’exploitation et le bilan annuel de la résidence, avec les charges fixes et variables.
Enfin, ces obligations étant distinctes dans leur objet, le gestionnaire ne pourra pas invoquer le fait qu’il a déjà communiqué des informations de son propre chef au titre de son obligation annuelle.Â
En conclusion, le juge a bien pris en compte la spécificité de ce type d’investissement avec une contrainte renforcée de transparence de la part du gestionnaire sur les chiffres et performances de la résidence.
Deux observations :Â
Bail et mandat de gestion : des similitudes sur la reddition des comptes ? La reddition des comptes d’exploitation par le gestionnaire au titre d’un bail d’une résidence de tourisme classée ressemble de plus en plus à l’obligation qui incombe au mandataire de gestion d’une résidence.
Vers un équilibre nécessaire des échanges d’information sur les divers comptes de la résidence à instituer dans des rapports gestionnaires-bailleurs de résidence de tourisme en copropriété :
Dorénavant, pour les nouveaux baux depuis 2014, l’article L.145-40-2 du Code de commerce dispose que, lors de la conclusion du bail, puis tous les trois ans, le bailleur doit fournir un état prévisionnel des travaux dans les trois années suivantes, assorti d’un budget prévisionnel, et un état récapitulatif des travaux réalisés dans les trois années précédentes, assorti de leur coût.
Pour respecter en pratique cette obligation à la charge des bailleurs sur l’immeuble d’exploitation pris dans son ensemble, ceux-ci s’entoureront des de services de leur syndic de copropriété et le missionneront pour communiquer spontanément au gestionnaire à cet égard. Le syndic devrait communiquer également au gestionnaire toute action judiciaire concernant l’immeuble d’exploitation (actions sur les malfaçons / non façons…).
Il serait bon d’instituer également une obligation d’information à la charge des copropriétaires au profit du gestionnaire concernant la dépréciation du mobilier et de l’équipement de chaque lot privatif et leur remplacement.
Ainsi peut-on suggérer le fait que dans la reddition des comptes faite par l’exploitant soit ajouté la nécessité pour chaque copropriétaire de constituer en cours de bail une provision destinée à assurer le coût de remplacement du mobilier ou des éléments d’équipements devenus vétustes ou encore le financement des travaux de rénovation des locaux privatifs donnés à bail.
Rappel : La loi ou les tribunaux sont censés en effet strictement faire appliquer l’obligation qui pèse sur les bailleurs-copropriétaires de résidences de tourisme, de délivrer et d’entretenir l’ensemble des lots privatifs et des parties communes (ainsi que leur mobilier et équipements) de façon strictement conforme au permis de construire, à leur destination et bien sûr en bon état d’exploitation.
Christopher Boinet
Avocat au Barreau de Paris – Associé – In Extenso Avocats